Le sujet de la santé mentale resté des décennies dans un angle mort, coincé quelque part entre le développement personnel et l’approche réglementaire, est venu troubler les agendas des services des ressources humaines : comment aborder le sujet et quelle approche adopter ? Comment mener des actions concrètes ? Mais d’ailleurs… peut-on vraiment mener des actions en matière d’amélioration de la santé mentale des travailleurs ?
La Grande Cause nationale 2025 soulève dès le départ un premier défi dans ses représentations et dans son référentiel : troubles psychiques, neuro-atypies, bien-être ? Chacun s’approprie effectivement l’une des dimensions de la santé mentale ainsi définies par Santé Publique France :
- La santé mentale positive englobe l’épanouissement personnel, le bien-être, les ressources psychologiques et les capacités d’agir de l’individu dans ses différents rôles sociaux.
- La détresse psychologique réactionnelle peut apparaître à la suite d’événements de vie difficiles comme un accident, un échec ou un deuil et n’est pas nécessairement révélatrice d’un trouble mental.
- Les troubles psychiatriques de durée variable, plus ou moins sévères ou handicapants relèvent d’une prise en charge médicale.
En partant de cette définition, il serait tentant, dans la sphère professionnelle, d’en édulcorer la dimension sociale et de ne retenir uniquement la dimension individuelle du bien-être : chacun se doit de « se prendre en charge » dans un monde devenu incertain et ambigu. Les solutions standardisées ont largement émergé dans une forme de marché de la souffrance au travail : applications, coaching, sensibilisation plus ou moins ludiques, questionnaire d’évaluation…
Pourtant, la prévention primaire, celle qui permet d’agir concrètement sur l’organisation du travail reste la grande oubliée des politiques RH : la faute à un ROI perçu comme impalpable, alors que les conséquences n’en finissent plus d’essaimer sur le terrain (absentéisme, turn over, problèmes d’attractivité, présomption d'un manque d'engagement des nouvelles générations…).
La litanie des chiffres régulièrement égrenée sur la scène médiatique laisse peu de doute sur l’intérêt de porter son attention sur les fameux risques psychosociaux : en 2023, les maladies psychiques reconnues d’origine professionnelle sont en forte hausse (+ 25 %) et 12 000 accidents du travail étaient liés à ces risques (régime général).
Quel est le lien entre santé mentale et travail ?
Le cadre règlementaire, on le connaît : l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ainsi formulée, la règle peut être intimidante tant le manque de connaissance sur le lien entre santé mentale et travail reste peu connu. L’imputabilité du travail sur la santé mentale dégradée d’un professionnel reste difficile à prouver : qu’est-ce qui relève de la sphère personnelle et de la sphère professionnelle ? La jurisprudence vient pourtant régulièrement illustrer cette tension dans la question : un syndrome anxio-dépressif peut être reconnu comme une maladie imputable aux conditions de travail si un lien direct est caractérisé entre la pathologie et l’exercice des fonctions professionnelles.
C’est donc encore une fois une invitation adressée à l’employeur pour améliorer les conditions de travail. La santé mentale au travail est certes influencée par de nombreux facteurs mais il n’est plus à prouver que l’organisation du travail joue un rôle central dans la prévention des risques psycho-sociaux.
En d’autres termes, quand on parle de santé mentale au travail, on parle de RPS, de préservation des ressources psychosociales, de promotion de la QVCT. On parle des mêmes concepts, mais on tente une nouvelle clé d’entrée. Sans acronyme cette fois-ci.
Des solutions collectives et organisationnelles existent
Mais elles sont moins évidentes, moins visibles qu’un challenge de pas ou un vélo smoothies. Ces modalités d’interventions souvent choisies au détriment de réelles actions pour des problématiques budgétaires, participent certes à créer une forme de convivialité mais ont peu d’impact sur la santé mentale des professionnels.
« Parler du travail, c’est productif » : la thématique de l’année 2025 en aura surpris plus d’un. Comment traiter cette thématique dans un cadre aussi serré que la semaine de la QVCT ? Ce choix est comme un pied de nez à tous ceux qui ont pour habitude de traiter le sujet de la QVCT uniquement dans le cadre de cette semaine, le message étant clair : la qualité de vie et des conditions de travail, c’est toute l’année.
Les solutions afin d’améliorer la qualité de vie et des conditions de travail sont nombreuses, documentées et guidées par des institutions telles que l’ANACT et l’INRS : écouter les professionnels, organiser des espaces de discussion, faire participer les travailleurs aux changements organisationnels, clarifier les processus de décisions, bien positionner l’encadrement.
Parler du travail, c’est organiser des rituels de travail permettant de discuter et d’échanger sur la réalisation concrète et ses irritants. Ce sont des réunions cadrées, des échanges informels, des groupes de travail, des espaces de réflexion sur des sujets de fonds, des modalités de travail collaboratifs qu’il faut sans cesse organiser et réinventer, dans un contexte où le travail a été fortement impacté par la crise sanitaire, l’inflation et les tensions sociales.
Une autre piste : mettre en avant les compétences psychosociales
Le besoin d’outiller l’individu reste un besoin identifié auprès de nos interlocuteurs. Si le service Prévention de WTW est un partenaire privilégié pour travailler sur la dimension collective et organisationnelle, il peut aussi accompagner les professionnels dans le développement des compétences psychosociales.
Les compétences psychosociales, késako ?
Ce sont les compétences devenues indispensables en temps de crise et alors que l’intelligence artificielle vient bouleverser au-delà des modes de collaboration, notre sentiment de sécurité et notre « place » dans le monde du travail.
Ce référentiel opérationnel est un des principaux livrables de référence et d'expertise produits par Santé publique France en appui à la stratégie multisectorielle de déploiement des compétences psychosociales.
Destiné en premier lieu à un jeune public, il reste tout à fait adapté à un déploiement en organisation.
Trois grands domaines structurent les CPS :
- Renforcer la conscience de soi (connaissance de soi, pensée critique, capacité à prendre des décisions constructives) ;
- Renforcer sa conscience des émotions (comprendre et identifier les émotions)
- Développer des relations constructives (communication assertive et comportements prosociaux).
Différents ateliers et formations peuvent être réalisées et déclinées auprès des organisations afin de permettre de créer des environnements soutenants.
Pour conclure, mettre de côté la dimension sociale de la santé lors des prises de paroles autour de la santé mentale ne peut qu’en compromettre la légitimité.