Les professionnels de la rémunération et des RH sont entrés dans une « zone incertaine » au début de 2020. D’une pandémie mondiale à une transformation profonde dans la façon dont les emplois sont structurés et le travail accompli, en passant par des taux d’inflation parmi les plus élevés et une pénurie de main-d’œuvre à son sommet de l’histoire, de nombreux défis inattendus ont soulevé des questions qui n’étaient pas prévisibles. Et la demande de réponses de la part des dirigeants et des employés ne fait que s’accroître.
Pendant cette période de turbulence, nous aidons les professionnels de la rémunération et des RH à répondre aux épineuses questions posées à tous les échelons de l’organisation.
La réponse simple et idéale est la suivante : « Non, les salaires de base ne devraient pas être augmentés ou rajustés en fonction d’une inflation plus élevée » (en fait, cela ne fait que contribuer à l’inflation!). Toutefois, la réalité n’est pas aussi simple. Le fait d’aider les dirigeants à comprendre le point de vue de l’employé et celui de l’employeur permet d’orienter efficacement le débat vers des solutions possibles.
Point de vue de l’employé : L’inflation représente l’augmentation du coût d’un panier de biens et de services de consommation, comprenant notamment le logement, l’énergie et d’autres postes budgétaires dans une zone géographique précise. Tout comme le coût de la vie, l’inflation varie considérablement d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre et d’une ville à l’autre. L’inflation n’est rien d’autre que l’expression de l’offre et de la demande de biens et de services dans ces endroits. Comme les employés ont le choix de leur lieu de résidence et de leurs achats, cela détermine la manière dont l’inflation les touche.
Point de vue de l’employeur : Du point de vue de l’organisation, les salaires de base pratiqués par un employeur (et sa philosophie de rémunération globale) sont fondés sur le coût de la main-d’œuvre, et non sur le coût de la vie. Le salaire des employés est conditionné par l’évolution de l’offre et de la demande de main d’œuvre, lesquelles peuvent être influencées par les tendances démographiques, les taux d’activité économique, les progrès technologiques, la disponibilité des programmes éducatifs et de formation, et la croissance de la productivité. Autrement dit, les employeurs évaluent l’offre et la demande de main-d’œuvre sur chaque marché visé et versent une rémunération concurrentielle à la lumière de cette définition, et non d’après le coût d’un panier de produits précis que les employés peuvent choisir sur les marchés en question. Ainsi, si un employeur définit le marché du travail concurrentiel pour certains emplois d’après un lieu donné (et non d’un secteur d’activité ou d’une taille d’entreprise en particulier, ce qui pourrait être plus probant pour des postes d’échelon supérieur), ce sont les données de rémunération concurrentielle du lieu en question qui établissent les taux de rémunération, en tenant compte de l’offre et de la demande de main-d’œuvre dans ce lieu.
La confusion entre les salaires de base versés par les employeurs et l’inflation est compréhensible. Après tout, les salaires de base représentent le pouvoir d’achat des employés, qu’ils utilisent pour faire des achats à partir de ce panier de biens de consommation. Lorsque les prix montent, le pouvoir d’achat des employés baisse.
Tandis que cette réalité frappe tout le monde, il est important de se rappeler qu’une inflation modérée (de l’ordre de 2 à 3 %) signifie qu’une économie est en croissance. Cependant, lorsque la demande de biens et de services est supérieure à l’offre, les coûts augmentent, et lorsque les coûts augmentent, on s’attend à ce que les augmentations de salaire de base emboîtent le pas. Or, si l’inflation et les augmentations de salaire évoluent généralement dans la même direction, elles sont motivées par des facteurs différents et ne sont pas identiques.
Ainsi, en 1982 – l’année où l’inflation en temps de paix a été la plus élevée jamais enregistrée –, l’inflation moyenne au Canada était de 12,5 % tandis que les augmentations de salaire étaient moins élevées et s’établissaient à 10,5 %. À l’inverse, en 2001, l’inflation au Canada s’établissait à 2,4 %, alors que les enveloppes budgétaires prévues pour les augmentations salariales étaient beaucoup plus élevées, atteignant 4 %. En 2020, l’inflation s’établissait sous le 1 %, mais les budgets pour les augmentations salariales de 2020 et de 2021 étaient plus élevés (de 2,3 % à 2,6 %). Cette réalité tend à avantager les employés au chapitre des dépenses réelles pendant les années de faible inflation (p. ex., 2001 et 2020) et à les défavoriser pendant les années de forte inflation (p. ex., 1982 et 2022).
Au Canada, l’inflation a atteint 8,1 % à la fin de juin 2022, soit le taux le plus élevé depuis 1983. Néanmoins, en 1983, les employeurs ne se souciaient pas autant du niveau d’inflation, car le chômage était également élevé à l’époque, dépassant les 12 %. Aujourd’hui, les employeurs canadiens sont aux prises avec une inflation élevée et un faible taux de chômage : un double coup dur. La dernière fois où nous nous sommes retrouvés en pareille situation, c’était en 1974.
Le fait est que nous n’avons pas connu cette conjoncture économique depuis longtemps, ni très souvent (rares sont les dirigeants actuels qui travaillaient en 1974). La figure 1 illustre cet ensemble unique de circonstances particulières qui met à l’épreuve les professionnels de la rémunération et des RH d’une manière que nous n’aurions jamais imaginée. En définitive, si les travailleurs se soucient de l’inflation et que les employeurs connaissent des pénuries de main-d’œuvre, cela veut dire que les employeurs doivent aussi se soucier de l’inflation.
Pour comprendre comment l’inflation peut être prise en compte dans les programmes et les processus de rémunération, et pour fournir des conseils à la haute direction, voici quelques points à prendre en considération :
Si c’est ce que les employés disent, cela revient à une question de pouvoir d’achat. Par exemple, si un employé payait son pain 1 $ en 2021, puis 1,08 $ en 2022, en toute logique, il doit gagner plus pour pouvoir acheter ce pain qui coûte plus cher. En additionnant les augmentations de prix subies en 2022, il se peut que les employés constatent que leur augmentation de salaire annuelle ne leur a pas permis de dépenser la même somme qu’en 2021 pour obtenir les mêmes biens et services.
S’il est vrai que le pouvoir d’achat des employés baisse lorsque les augmentations de salaire sont inférieures au taux d’inflation, on peut contrer l’argument en avançant que « le salaire, lui, ne baisse JAMAIS ». Comme nous l’avons mentionné, la plupart des employés (si ce n’est la totalité) se voient accorder une certaine augmentation salariale chaque année, et ces augmentations s’additionnent au fil du temps. Il est primordial de les aider à comprendre que, pendant de nombreuses années, les augmentations de salaire ont été SUPÉRIEURES au taux d’inflation (et peu d’employés s’en sont plaints).
L’impression que les augmentations de salaire n’ont pas évolué comme le coût de la vie vient aussi du fait qu’au fil du temps, le taux des augmentations n’a cessé de diminuer, comme le montre la figure 2. Pourtant, même si les sommes allouées au budget d’augmentation des salaires ont chuté à chaque ralentissement économique et n’ont jamais renoué avec les taux antérieurs, les niveaux de salaire ont systématiquement augmenté chaque année.
Cela étant, comme le montre la figure 3, il est tout aussi important pour les employés de comprendre que les augmentations de salaire au Canada ont été supérieures à l’inflation depuis 2012 – chose courante en période de faible inflation. Les employés voient aujourd’hui ce qui se produit en période d’inflation plus élevée, ce qui vient à nouveau renforcer la réalité selon laquelle les années de faible inflation avantagent les employés au chapitre des dépenses réelles tandis que les années de forte inflation les défavorisent.
En 1981 – l’année de comparaison privilégiée par tous, car c’est la dernière fois que le Canada a connu une inflation élevée –, les budgets salariaux étaient de 10,5 %, ce qui est nettement supérieur à la moyenne actuelle de 3,0 %. Deux facteurs importants doivent toutefois être pris en compte :
Lorsque vous réfléchissez à la manière de répondre aux employés, n’oubliez pas ce qui suit :
Le monde est en pleine mutation, et le monde du travail et de la rémunération n’y échappe pas. Les professionnels de la rémunération et des RH sont sollicités par les employés de tous les échelons de l’organisation, qui leur demandent d’être renseignés et conseillés en cette période hors du commun. Comprendre comment tous les éléments s’imbriquent, prendre en compte toutes les perspectives et s’assurer que vous disposez d’une solide philosophie en matière de rémunération pour vous soutenir seront vos meilleurs outils pour y répondre.
Vismay Pandia, conseiller WTW, a également contribué à l’élaboration de cet article.